Chers enfants,
«J’ai le droit!»
Avant même de savoir réciter l’alphabet, vous me hurlez ça dans les oreilles.
Mais on va régler ça une fois pour toutes.
Des droits, vous en possédez très peu.
Vos droits se résument à un petit document international dénommé le droit de l’enfant. Aussi important soit ce document, il ne fait pas état du quart du dixième des autorisations légales que vous croyez posséder.
Le droit de noyer sa viande dans le ketchup n’existe pas. Le droit à la tétine en permanence jusqu’à la préadolescence non plus. Le droit de fêter Noël en sandales non plus. Ni celui de ne pas faire ses devoirs, d’écouter des films de peur et de cauchemarder toute la nuit, de taper sa sœur parce qu’elle ne sait pas jouer correctement aux Ninjas, etc., etc.
Tous comme nous, vos indignes parents, la littérature a bafoué vos droits.
Grosso modo, vous avez le droit de vivre, d’être respectés et de vous développer.
Point final.
Ensuite viennent les opportunités, les privilèges, les occasions, les permissions, les traditions…
Vos autres droits et devoirs (quoique les seconds vous intéressent moins) sont ceux que votre père et moi voulons bien vous accorder, ou vous infliger. Je suis votre patronne esclavagiste qui vous oblige à travailler (lire: ranger vos jouets) sans salaire, la police qui vous met en prison dans votre chambre après 20 heures, la gardienne de prison qui rationne vos portions de dessert… Je suis tout ça. Et pire encore!
Lorsque je vous chicane, je n’éprouve pas plus de plaisir que vous.
Nous voilà au moins en symbiose sur une chose. Mais le jour où j’abdiquerai, où je fermerai les yeux sur vos mauvaises actions, sachez que j’aurai failli à ma tâche, que je n’aurai pas fait honneur à tout l’amour que j’éprouve pour vous, à ma chance de vous avoir pour enfants. Devenir parent est tout un privilège, mais c’est aussi une énorme responsabilité, celle de vous enseigner la vie. On construit les fondations, on pose les premières briques avec vous. Après, vous ferez ce que vous voudrez et ce que vous pourrez avec ce que vous avez reçu. Mais présentement, je vous éduque. Envers et malgré vous.
Je vous explique vos droits, je vous permets d’argumenter respectueusement.
Je vous donne des choix le plus souvent possibles, je m’excuse lorsque j’ai tort, mais mon devoir de parent est aussi de vous expliquer en quoi vos choix individuels peuvent brimer la collectivité en totalité ou en partie. La bienveillance n’est pas qu’une façon d’exercer sa parentalité, elle est une façon d’être et j’ai bien l’intention de vous l’inculquer.
Je suis désolée si mes bottines ne suivent pas toujours mes babines.
Il m’arrive d’oublier de prêcher par l’exemple. Je dis parfois des grossièretés que je vous interdis. Je me cache parfois (souvent) pour manger du chocolat, de la poutine ou des croustilles. Il m’arrive d’engueuler, devant vous, des conducteurs parce qu’ils ont été imprudents et vous ont fait courir un risque. Je vous le dis tout de suite, jamais je ne vous laisserai insulter les gens en pleine rue, même si je l’ai déjà fait. C’est inutile et ça pourrait devenir dangereux.
Mon rôle est de vous éduquer, mais il va plus loin encore. Mon rôle est de vous élever. Au-dessus de moi. Je vous aime tellement et j’ai une telle confiance en vous que je sais que vous pouvez devenir de bien meilleures personnes que je ne le serai jamais.
Mélissa M.