J’attends depuis plus de 4 ans.
Bon, j’avoue, entre-temps j’ai tricoté la plus adorable des fillettes. Ma troisième merveille.
Si quatrième il y a, il ne sera pas tissé de la même laine, il aura quelques mois, un prénom, des cheveux, des blessures et une petite valise.
Il est probablement déjà né, l’enfant qui viendra chez moi, le bambin que je rêve d’adopter.
Il est probablement déjà né, mais il ne viendra peut-être pas chez moi.
Qui sait?
J’espère.
J’attends le verdict, la décision d’un conseil qui se réunit le mardi.
Un mardi, peut-être le prochain, mes oreilles silleront tout l’après-midi. Je saurai qu’on parle de moi, de ma santé mentale, de mon enfance, des colères de ma plus vieille, de la turbulence de mon garçon, du statut de bébé de ma 3 ans, de mes aptitudes parentales, de mon horaire de travail, de ma relation amoureuse, de ma sexualité… Plusieurs inconnus donneront leur avis sur plusieurs facettes de ma vie.
Mon couple a passé sa première entrevue (pour sa job de parents d’un quatrième) il y a 2 ½ ans. Après quelques tests écrits (médical, financier, références multiples, nécessité de formations, etc.) nous avons eu droit à notre deuxième entrevue. Elle a duré 20 heures, échelonnées sur 2 mois. Maintenant, nous patientons. Aurons-nous le poste tant convoité de famille d’accueil en voie d’adoption d’un enfant de la DPJ?
Après 4 années de relation avec Amoureux, nous avions déjà 2 enfants. Cette fois, au bout de 4 ans, on attend.
Dans les derniers mois, j’ai passé plusieurs après-midi avec 2 travailleuses sociales très sympathiques, qui me posaient parfois des questions bien malaisantes. Parce que c’est leur travail. Depuis quelques jours, ces deux charmantes employées de la DPJ ont dû subir de nombreux commentaires désobligeants suite à l’histoire de la petite martyre de Granby. Elles ont sans doute consacré un temps qui leur fait défaut pour se justifier de ce crime que des collègues éloignés n’ont pu prévoir, n’ont pas réussi à éviter.
Tous se révoltent, crient à l’ignominie, accusent la DPJ. Tous sont consternés, dégoûtés, outrés. Ils ont raison. C’est injuste. Surtout pour la gamine. Tellement injuste qu’un système ne soit pas configuré pour protéger les plus vulnérables.
À bien des égards. Je ne peux qu’ajouter ma tristesse et mon sentiment d’impuissance sur la montagne existante.
En tant que potentielle future maman d’un enfant victime de négligence, d’un enfant retiré de sa maison, de ses références, mon regard a trébuché sur un détail de l’histoire. Alors qu’elle n’avait que 5 ans, la toute belle a couru jusqu’au dépanneur afin que le caissier téléphone à la police. Une fillette d’âge préscolaire!
Ma belle anxieuse de bientôt 9 ans serait-elle suffisamment instinctive, assez dégourdie pour se débrouiller ainsi?
Ça fait des années que je m’inquiète pour mes gamins. Et si je tombais sans connaissance, alors que papa est absent, que feraient mes cocos? Aujourd’hui, mes 2 grands savent se servir d’un cellulaire, connaissent l’existence du 911. Mais si le danger provenait de l’intérieur de la maison, combien de temps mettraient-ils avant de sortir sans moi, eux qui n’en ont généralement pas le droit? Où iraient-ils puisque nous sommes pratiquement leur unique repère?
La mioche avait des problèmes de comportement, sans doute des troubles de langage, elle accusait probablement un sérieux retard d’apprentissage à l’école. Pourtant, à 5 ans, elle savait d’instinct comment se protéger.
Cette anecdote a fait écho à mes nombreuses lectures des dernières années à propos des enfants négligés. Constamment en danger, les petits n’ont pas le temps de suivre la norme parce que leur attention est ailleurs. Ils n’investissent pas leur énergie pour faire des pas en avant , mais pour reculer, fuir le danger. Ils possèdent un super-pouvoir d’autoprotection.
Une force en cas de menace réelle. Une nuisance dans la vie quotidienne.
J’ai tellement lu tout ça dans les derniers mois, tricoté par toutes sortes de mots, illustré par des tas d’exemples. Mais cette parcelle de tragédie n’a pas encore eu le temps de se coucher dans les bouquins. Elle est encore fraîche, nauséabonde. Une fillette de 5 ans a demandé de l’aide et on ne lui a pas offert. Et pourtant, à Granby comme ailleurs, il existe des familles qui, comme nous, patientent des années avant d’accueillir un petit ange blessé. La plupart ont d’abord vécu le deuil de l’enfantement. Ils traversent les années d’attente sans nuits blanches pour distraire leurs rêves, sans câlins matinaux pour les consoler, sans gamins à aimer.
Je t’admire déjà petit bout de choux que j’attends. Je devrai t’enseigner un tas de trucs que mes cocos bios ont toujours sus. Je devrai t’expliquer ton rôle d’enfant (apprendre en t’amusant, avec insouciance) ainsi que mon rôle de parent (t’aimer et prendre soin de toi). Je devrai te prouver que chez nous, le frigo a constamment le ventre plein, que papa revient chaque soir, qu’il n’y a pas de monstres dans la maison la nuit… Tu ne me feras pas confiance. Tu attaqueras le premier. Pour te prémunir d’un danger potentiel. Tu me mettras à l’épreuve. Ce ne sera pas facile! Mais on va s’entraider.
Tu m’apprendras à devenir ta maman, celle qu’il te faut, bienveillante, mais encadrante. Je travaillerai fort. Parce que t’en vaux le coût, mini super héros!
Je ne sais pas si t’es un garçon ou une fille. Si tu viendras chez moi ou pas. Si tu y resteras ou pas. Il y a toujours la possibilité qu’un juge prenne la décision de te ramener à celle qui t’a donné la vie, au bout de quelques mois. Mais j’accepte le risque. Parce qu’avec toi, ce sera le plus beau des risques.
Parce que je t’aime déjà!
Ça, je le sais!
Mélissa M.