Ça faisait longtemps qu’elle ne m’avait pas envahie de la sorte.
Avec le temps, j’ai appris à relativiser. Ça ne change malheureusement pas grand-chose. Je m’interroge davantage. Pourquoi donner autant d’importance à un collègue sournois et hypocrite? J’ai des enfants en santé, la chance d’être toujours amoureuse de mon homme, un toit, des diplômes, la santé… On s’en fout de la couleuvre! En théorie.
La mer est vaste. Il y a du corail, des bancs de poissons, l’immensité… Mais moi, j’ai mordu à l’hameçon. Une aiguille dans une botte de foin. Mais je me suis piquée. L’hameçon coincé dans le gorgoton, je peux bien relativiser, penser à la vastitude, aux hippocampes, au chant des dauphins… Je suis quand même pris dans ma souffrance.
Petite, je rentrais de l’école enragée.
Dans le cours de catéchèse, on avait lu la parabole du fils prodigue. Je détestais cette histoire qui prône le favoritisme et l’absence de reconnaissance. Une autre fois, un enseignant avait chicané injustement un camarade de classe. Il s’agissait effectivement d’un coquin, mais ce jour-là, il n’avait été que le souffre-douleur idéal d’un prof mal luné. J’ai soulevé l’abus et j’ai fini en retenue.
Le nombre de fois où j’ai sacré en lisant les journaux, où je me suis promenée de long en large dans mon passage pour une période indéterminée, une période assez longue pour en oublier mes obligations. Le temps d’être en retard. Paralysée par l’injustice, le je-m’en-foutisme ambiant. Pris dans l’oeil du cyclone. Incapable de me réjouir d’être née dans un milieu de paix relative.
Pourquoi cette tendance à transformer toutes les émotions douloureuses en colère?
Est-ce parce que la tristesse et la peur me fragilisent? Par contre, la rage amène avec elle, une révolte, une puissance. Faute de donner des ailes, la hargne offre la force. On veut se battre pour une cause, se venger, tout détruire, reconstruire, porter plainte. La colère suscite cette flamme dont j’ai besoin pour continuer, pour me relever.
Ce feu qui m’énergise et me consume. Avec lui, je peux soulever des montagnes.
Mais à quoi bon? Pour les trimballer où et pourquoi? J’ai peut-être accompli deux ou trois trucs grâce à mes montées de lait. J’en ai sans doute détruit le double.
Même si je ne dirige pas ma rage contre mes enfants, ils la voient, ils la côtoient.
Je transmets malgré moi cet outil que j’utilise pour me relever, pour me protéger. Ils s’alimentent de ce brasier.
Pour eux, il serait temps que je fasse un autre bout de chemin, que j’apprenne à passer outre ou à m’expliquer autrement.
Mélissa M.