Devenue maman au début de la trentaine, j’ai eu l’occasion de l’entendre régulièrement celle-là. Comme si le discernement germait dans le ventre plutôt que dans la tête!
Le parent fait plusieurs variations sur le même thème, t’accuse d’ignorance ou d’incompréhension. Parfois, il accorde au futur la capacité de t’instruire :
Tu comprendras quand t’auras des enfants.
Les procréateurs aiment aussi t’accuser de possession de temps. N’ose jamais répondre à quelqu’un qui a une descendance que t’es trop occupé. Que ce soit pour aider tout un chacun, t’entraîner pour un triathlon ou compléter un doctorat, si t’as jamais accouché, t’as toutes les heures nécessaires.
Pas de marmaille, pas d’excuses!
J’ai fini par penser que les gamins se nourrissaient à même l’horloge. Les tricotteux de bébé ont le monopole du manque de temps et celui de la fatigue. Car de carence en sommeil non plus tu ne dois pas te plaindre si tu n’as jamais caché de bambin derrière ton nombril. Tant qu’aucun être vivant n’a élu domicile dans ta bedaine, la vie est si facile! C’est le mérite qui, en revanche, s’acquiert difficilement.
Tu peux ben être mince, t’as jamais enfanté. L’auteure de cette phrase omet qu’on la connaissait déjà, elle et ses 10 kilos en trop, bien avant qu’elle ne soit fécondée. Mais même cette amnésie partielle est causée par la maternité. « J’oublie tout depuis que je suis enceinte…depuis que j’allaite…depuis que je suis mère. » La finale se transforme un peu avec les années, question d’étirer le plaisir… ou le déplaisir.
Mais pourquoi choisir de procréer, et de récidiver, si tes mioches te réduisent à l’état d’esclave amnésique et malheureuse?
Je me suis mordue les lèvres fréquemment pour ne pas rétorquer à cette mère qui voulait me contraindre au silence que la grossesse léguait seulement de la peau flasque et des vergetures, pas la science infuse.
Néanmoins, depuis que je suis maman, j’ai dû me mordre les lèvres un million de fois afin de ne pas répéter ces phrases à mon tour. J’ai souvent soupiré en entendant les conseils ou les remarques d’une copine célibataire. J’ai fréquemment levé les yeux au ciel lorsqu’un non-parent m’entretenait de son épuisement. T’as beau travailler soixante heures par semaine, il t’en reste quand même cent huit pour t’occuper de ton unique nombril.
Je me suis souvent demandée comment je meublais tout mon temps d’avant.
J’ai réalisé que, malgré tout ce que j’avais pu penser, ces mères avaient raison. Pas facile de saisir à quel point c’est exigeant le rôle de parent! T’as beau être éducatrice, professeure ou intervenante, il y a des trucs qui t’échappent. Tant que tu n’as pas ton mini-humain à toi, que l’amour et la fierté ne t’ont pas inondé le cœur, que tes crocs de louve n’ont pas poussé, que la culpabilité et la fatigue ne sont pas encore devenues un état chronique, tu ne peux pas (tout) comprendre.
T’as droit à ton opinion. Évidemment.
Mais sache que non, ce n’est pas toujours facile de quitter rapidement la garderie le matin alors que bébé hurle son chagrin, même si en théorie, je sais pertinemment comment je devrais agir. Ce n’est pas plus facile de dire non à mon Terrible Two en crise dans le magasin après avoir passé une nuit blanche avec le poupon et alors que j’ai 6 affamés qui attendent que je prépare le souper. Je m’étais pourtant promis de le faire. Moi aussi. Tu réussirais sans doute haut la main un examen sur le développement de la petite enfance, mais le développement (ou la régression) du parent demeure un concept beaucoup plus singulier qui ne s’apprend pas dans les livres.
J’ai (plus souvent qu’autrement) réussi à censurer ces phrases qui m’avaient jadis écorché les tympans et qui souhaitaient désormais sortir de ma bouche.
Par respect pour ma vie d’avant.
Et parce que les soirées me manquaient pour fréquenter les sans-gamins. Je me suis trouvée un public cible plus pointu pour afficher ma supériorité parentale : les parents d’enfant unique. Je me suis spécialisée dans le « C’est différent, t’as qu’un bambin ». Cependant, je le destine seulement à ceux qui maîtrisent parfaitement l’art d’être désagréable. Il y a la maman parfaite qui se vante de ne jamais bousculer le rythme de son nouveau-né, de ne jamais le réveiller. Ben oui! Je me verrais bien expliquer ça à la directrice de l’école de mes enfants. « Désolée si mes grands ont manqué leur examen, mais je ne pouvais pas réveiller la petite. Quelle idée de mettre les examens le matin! » J’ai osé l’arrogante formule pour la première fois un lointain après-midi d’hiver, au CPE. Mon aînée avait 2 ans et était fort mécontente. Elle avait choisi de se déshabiller pendant que j’habillais le poupon. L’indifférence n’ayant aucun effet inhibant sur elle, le temps que fiston soit chaudement vêtu, fillette était devenue complètement incontrôlable. J’ai dû lui faire un arrêt d’agir afin de lui remettre son manteau. Une maman d’enfant sage choisit ce moment de zénitude pour me déconseiller de laisser bébé si chaudement vêtu à l’intérieur. Je lui réponds poliment « Tu me donneras tes trucs quand t’en auras un deuxième ». J’aurais pu tourner en rond à l’infini. Déshabiller bébé. Habiller Furie. Habiller bébé. Oups! Déshabiller bébé. Habiller Furie…J’aurais aussi pu demander l’aide d’une pieuvre spécialiste en habillage synchronisé, mais elles sont malheureusement peu nombreuses à s’établir en ville.
Le jugement ne vient pas avec l’enfantement. Au contraire.
Ces petits humains qui nous sortent des entrailles nous embrouillent parfois l’esprit. Un brouillard causé par des nuits trop courtes et tout un coffre d’inquiétudes et de responsabilités supplémentaires à trimbaler au quotidien. Avant d’avoir transporté ce coffre sur notre dos, d’avoir reçu ces précieux trésors dans nos vies, nous avons des idées bien éclairées sur la famille que nous formerons, l’éducation que nous offrirons. Mais nous ne savons pas encore à quel point la maternité nous transformera, à quel point elle peut être belle, magique et lourde à la fois.
Et vous, maman ou non-maman, quels sont les pires commentaires que vous avez reçus de l’autre clan?
Mélissa M.